Oliveiro Toscani : “il faut sans cesse chercher de nouveaux moyens de raconter le monde” (nouvelobs.com / 30.03.2016)
Postato il 01.04.2016 da write@toscani.com Commenti Commenti disabilitati su Oliveiro Toscani : “il faut sans cesse chercher de nouveaux moyens de raconter le monde” (nouvelobs.com / 30.03.2016)Les 18 et 19 mars derniers, personnalités et anonymes étaient invités à s’unir devant l’objectif d’Oliviero Toscani, célèbre pour ses campagnes chocs pour la marque Benetton dans les années 1990. Pour l’occasion, le plus sulfureux des photographes installait son studio devant la librairie La Hune, Place Saint-Germain-des-Prés à Paris. 21 portraits de couples, comme autant de manières de célébrer la différence. Rencontre.
Comment vous est venue l’idée de cette série sur le mariage ?
Il y a une quarantaine d’années, alors que je réalisais une série mode pour le Vogue français, ma fiancée de l’époque, devenue plus tard ma femme, était habillée d’une robe de mariée Yves Saint Laurent. Je l’ai trouvée si belle que je me suis pris en photo à ses côtés. Etrangement, cette seule photo a suffit à sceller notre union. Lorsque nous nous sommes vraiment dit oui devant le maire cinq ans plus tard, nos parents et amis avaient l’impression que nous étions déjà mariés. Ils avaient gardé en tête cette image, qui reste aujourd’hui dans nos albums de famille la vraie preuve de notre mariage, bien qu’elle n’ait rien d’officiel. Plus récemment, le débat français sur le mariage pour tous et son pendant italien ont achevé de me convaincre. En Italie, nous avons l’Eglise, le pape, les cardinaux… C’est très compliqué. Je voulais prouver qu’il n’est pas nécessaire de se rendre à l’église, ni même à la mairie, pour être marié. Si la photo existe, alors le mariage existe.
Pour vous, la photographie est politique, mais aussi synonyme de vérité…
Qu’importent les restrictions sociopolitiques, éthiques ou morales, si vous souhaitez vous marier, votre intention, capturée par un photographe, suffit à rendre le mariage réel, véritable. Tout ça est très sérieux, car la photographie est non seulement la mémoire historique des individus mais aussi celle de l’humanité toute entière. Sans cette trace, pas de réalité. Sinon, comment savoir si Jeanne d’Arc était bien celle que l’on prétend, ou que Jésus était vraiment capable des miracles qu’on lui associe ?
Quel message souhaitez-vous faire passer au travers de ces portraits de couples ?
C’est un manifeste pour la liberté autant qu’un pied de nez à l’Eglise et aux institutions étatiques. On devrait pouvoir se marier avec qui l’on veut, comme l’on veut. Devant mon objectif, une femme peut se marier en Dior vintage années 1950 avec son mari (ou sa femme) en hippie. Impossible de concevoir la même chose à l’église… Et si l’on souhaite tout bonnement se marier en Adam et Eve, avec une feuille de vigne pour seul vêtement ? Il faut s’affranchir des codes et des interdits. Le mariage est avant tout une union culturelle, une relation intellectuelle, comme Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre ou Rudolf Noureev et Freddie Mercury. Peu importe que vous souhaitiez ou non avoir des enfants. Fonder une famille est une valeur ajoutée.
Parallèlement, vous poursuivez votre projet Razza Umana (Race Humaine), pour lequel vous voyagez aux quatre coins du globe…
En étant photographe, j’ai souvent entendu dire : « Si vous me photographiez, j’ai peur que vous voliez mon âme. » Le fait est qu’il est effectivement possible de saisir l’âme des personnes que l’on photographie. Partout dans le monde, je m’installe sur les places des villes et des villages, j’installe un studio, puis j’arrête les passants. Pour chaque photo, je leur demande de regarder l’objectif. Ce ne sont pas des mannequins professionnels et systématiquement, quelque chose brille dans leurs regards. Lorsque l’on regarde quelqu’un dans les yeux, il y a toujours cet instant d’embarras, où l’on se sent dépouillé, comme mis à nu. C’est ce moment précis, presque intangible, que j’essaye de capturer.
Vous êtes célèbre pour vos photographies de mode. Quel regard portez-vous sur elle aujourd’hui ?
J’ai commencé dans les années 60, avec l’apparition de la minijupe. Puis sont venues les années 80, marquées par d’autres revendications émancipatrices, transgressives.
Aujourd’hui, il y a sans doute moins de place pour la liberté.
La presse spécialisée, conditionnée par son rapport aux annonceurs, est désormais davantage un support d’information sur l’état du marché que sur la mode elle-même. De manière générale, dès que le mot marketing apparait, on est en droit de s’inquiéter. Pour ma part, j’ai la chance d’être encore très libre d’un point de vue créatif, mais force est de constater que la standardisation et l’absence de prise de risque sont un peu devenus la norme de l’industrie. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder les affichages publicitaires sur les murs de nos villes, pensés par des agences de pub qui n’ont que faire de la créativité, tant que le rendu final satisfait le client. La plupart du temps, ces images n’ont strictement aucun intérêt.
Vos campagnes Benetton (1982 à 2000) sont devenues des symboles de leur époque, marquée notamment par le développement de l’antiracisme. Y-aurait-il encore de la place pour des images comme celles-ci ?
Encore aujourd’hui, on me parle sans cesse de ces images. C’est bien la preuve que l’intérêt du public n’a pas changé. Je reste très confiant. Laphotographie n’est qu’un moyen, reste à en déterminer le but. A mon sens, un photographe doit être le témoin de son temps. Ces images racontaient certes leur époque, mais elles ont gardé leur sens trente ans après.
Pas de ‘c’était mieux avant’, il faut sans cesse chercher de nouveaux moyens de raconter le monde.
Alors quel regard portez-vous sur notre temps ?
C’est une période très intéressante. Nous sommes comme castrés par une technologie que nous percevons comme une aide, alors qu’elle nous rend paresseux, inertes. Les gens commencent à raisonner lorsqu’ils allument leur ordinateur. Mais quid de l’imagination ? Les jeunes ont à leur portée une source intarissable d’information mais ne prennent plus le temps de rêver. Le constat est le même s’agissant de la télévision. Il faudrait s’affranchir de tous ces filtres pour renouer avec l’imaginaire. D’ailleurs, je milite pour la suppression totale et définitive de la télé !
Alban Agnoux
L’ensemble des portraits est à découvrir sur les façades extérieures de la librairie-galerie La Hune jusqu’au 1er avril 2016, ainsi que l’exposition “Minis Toscani”, 100 photographies petit format retraçant le travail d’Oliviero Toscani, des années 1960 à aujourd’hui.
30.03.2016
source: nouvelobs.com